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« C'est comme la grippe », « c'est comme les diabétiques » : ambivalences des médecins généralistes face à la « guérison » de la dépendance aux opiacés
Lise Dassieu  1@  
1 : Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires  (LISST)  -  Site web
CNRS : UMR5193, Université Toulouse le Mirail - Toulouse II
Maison de la Recherche 5 Allée Antonio Machado 31058 TOULOUSE CEDEX 09 -  France

Depuis la mise sur le marché des traitements de substitution aux opiacés dans les années 1990, de nombreux médecins généralistes français prennent en charge des « toxicomanes ». D'une certaine manière, ils participent à la « médicalisation » d'une conduite qui fait, parallèlement, l'objet de sanctions pénales. Notre travail de thèse (entretiens et observations de consultations) suggère que, pour donner sens à leur intervention, les généralistes cherchent à faire entrer la dépendance aux opiacés dans la catégorie des « maladies ». Pour ce faire, ils ont recours à des analogies avec deux formes de pathologies courantes en médecine générale, dont découlent des conceptions contradictoires de la guérison.

La comparaison à une maladie aigüe (« c'est comme la grippe ») inscrit le traitement dans une médecine curative. L'objectif, dès lors, est la diminution progressive des dosages jusqu'au sevrage du médicament. Mais il est régulièrement mis en échec, tant par les « rechutes » des patients dans les opiacés illicites, que par la chronicisation des prises en charge sur plusieurs années. Les généralistes se retrouvent ainsi en proie à des doutes au sujet de la pertinence de leur action auprès de ce public, voire du bien-fondé de la politique substitutive. Le « sens du bien » n'est plus évident dès lors que la dépendance à la drogue fait place à la dépendance au médicament.

Pour d'autres généralistes, la « guérison » ne réside pas dans l'arrêt du traitement mais dans la sortie du monde des drogues par « l'insertion » socioprofessionnelle du patient. Ces médecins ont recours à l'analogie avec la maladie chronique (« c'est comme les diabétiques ») : la maintenance sous traitement ne leur apparaît pas problématique dans la mesure où elle permet une amélioration de la « qualité de vie ». Dans cette perspective, les « toxicomanes » sont « guéris » lorsqu'ils peuvent s'acquitter de leurs obligations envers le collectif, à l'instar des malades idéaux-typiques décrits par Parsons. Les généralistes deviennent entrepreneurs de morale, plaçant la « guérison » dans la mise en conformité avec des normes sociales dominantes.

Enfin, l'ambivalence de la « guérison » se répercute sur les patients : le médicament, tout en constituant le moyen de sortir de la drogue, leur rappelle incessamment qu'ils sont des « toxicomanes ».



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