Dans le champ de la santé, et en particulier de la prévention, les interventions ciblent prioritairement des sous-groupes jugés vulnérables. Leur vulnérabilité à la morbidité ou à la mortalité prématurée est définie à partir de critères épidémiologiques qui évacuent toute sensibilité au contexte social, culturel ou politique. Il en résulte un processus d'étiquetage social, qui, tout en essentialisant les caractéristiques« communes» des groupes vulnérables, conduit à la stigmatisation et à la discrimination sociale. Toutefois, au cours des dernières décennies, la vulnérabilité est construite tout autant par des logiques sociales et politiques qu'épidémiologiques. Les mouvements de «panique» et de «croisade» morale jouent ici un rôle fondamental. Au même moment, la vulnérabilité n'est plus simplement assignée unilatéralement, de l'extérieur, à partir de critères imposés, à certains groupes passifs face à ce processus d'étiquetage. L'éthique contemporaine est mise au défi d'une analyse plus dialectique des vulnérabilités négociées. D'abord, certains groupes refusent, s'insurgent, voire refusent l'étiquette de groupe vulnérable (ex. : migrants, «nouveaux patients» responsabilisés et mobilisés pour leur propre gestion de leur vulnérabilité). D'autres groupes au contraire, profitent de ce statut de vulnérable et du capital moral ainsi attribué, pour en tirer des bénéfices en termes d'accès aux ressources. Dans ce dernier cas, construction éthique et construction politique de la vulnérabilité se chevauchent. Mais surtout, les groupes vulnérables construisent des «espaces moraux» dans lesquels émergent des discours moraux critiques de la société qui refuserait de les reconnaître comme vulnérables. Une éthique de la vulnérabilité doit englober les enjeux d'une guérison des vulnérabilités. Elle devra passer par une analyse des processus de moralisation du discours des groupes de défense des vulnérables, discours qui apparaît de plus en plus comme une co-construction de la définition des responsabilités dans l'interface des discours communautaires, populaires et étatiques.
- Son