L'importation d'un paradigme historiquement et culturellement situé en psychiatrie – ou en « santé mentale » – se déroule, peu à peu depuis plusieurs années en France. Si pour certains il s'agit d'une révolution copernicienne pour la psychiatrie, tant d'un point de vue théorique qu'en ce qui est de ses pratiques, pour un grand nombre de ses détracteurs, il s'agit ici bien plus « d'idéologie » – dans l'acception péjorative du terme. Ce paradigme est celui du rétablissement – traduction littérale du terme anglo-saxon de recovery.
Le but de cette communication n'est évidemment pas du tout de « trancher ». Il s'agira ici dans un premier temps de nous pencher sur l'histoire, les postulats et les technologies des rétablissements. En effet, au-delà d'une apparente homogénéité coexistent en Amérique du Nord plusieurs manières de le concevoir. Celles-ci sont liées à des contextes particuliers et à des idéologies – au sens neutre, celui, pour le dire rapidement, de représentations du monde et cosmogonies – différentes. Ces approches du rétablissement comportent elles-mêmes des enjeux et soubassements politiques et moraux, cela va de soi, différents.
Pourtant l'on assiste parfois à ce qui s'apparente à une importation tantôt presque « monolithique » de celui-ci, tantôt composée d'éléments disparates, à la manière d'un « bricolage » – au sens de Claude Lévi-Strauss – et il ne semble pas toujours aller de soi pour les acteurs impliqués que, quelle que soit la manière dont on le conçoit et on le met en pratique, le rétablissement est bel et bien un paradigme au sens plein du terme, tel que Thomas Kuhn le définit.
Nous proposons à partir d'observations ethnographiques[1] réalisées en France au cœur de structures dites « orientées rétablissement », de programmes mobilisant des technologies propres à celui-ci, telle la pair-aidance et d'un travail généalogique d'interroger la manière dont ce paradigme parvient, peu ou prou, à être importé dans un contexte professionnel, culturel et social différent en de nombreux points de celui qui l'a vu naître.
En effet, il est crucial d'interroger, au-delà des travaux d'évaluation de certains de ces programmes ayant été déjà réalisés, d'interroger les soubassements politiques et moraux d'un paradigme puissant qui va, dans les pratiques, modifier les existences de nombreuses personnes souffrant de troubles psychiques.
[1] Les matériaux empiriques sont recueillis dans deux villes françaises du côté des « soignés » ainsi que de celui des soignants et des promoteurs ou responsables de ces programmes et équipes.
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