Pourquoi faudrait-il s'engager sur la voie de la guérison alors que la maladie prend racine durablement et profondément dans notre vie sociale, psychique et organique, que son accompagnement thérapeutique nous permet de vivre tant bien que mal et que les chemins pour espérer un total rétablissement s'avèrent des plus incertains ?
Dans le champ de la médicalisation des addictions, où les médicaments substitutifs troublent profondément l'hypothétique sortie de toxicodépendance, ou dans le domaine de l'oncologie médicale, où le développement des thérapies prolonge la vie des patients sans pour autant éradiquer la maladie, cette question se pose de manière exacerbée.
Dans le cadre du programme ANR Socioresist (2013-2017), nous proposons ici une analyse de récits de vie et d'observations ethnographiques menés au sein d'une communauté thérapeutique et dans des services de cancérologie. Il s'agit de saisir de façon comparative la manière dont ces usagers de drogue sous traitement substitutif et ces patients atteints de cancer avancé s'efforcent au quotidien de réélaborer les significations de la guérison et, ce faisant, de composer, de s'opposer voire de résister à la chronicisation de leur maladie. Face aux dimensions d'un quotidien altéré (transformation du rapport au corps, du rapport à soi et aux autres ; déstructuration des temporalités ordinaires ; emprise du monde médical), nous explorerons 1) les polysémies de la guérison (éradication du mal, métamorphose de soi, retour à une vie normale, etc.) et analyserons 2) les formes de reconfigurations subjectives de la toxicodépendance et de la maladie cancéreuse qui en découlent. A travers une anthropologie de l'expérience qui s'intéresse particulièrement à la reconstruction narrative de la maladie (Kleinman, 1980), les éléments mis ici en lumière nous permettront de mieux comprendre le contrôle qu'exercent ces malades sur leur destinée, que ce soit à travers la quête d'un mieux-être ou d'une vie « digne d'être vécue ».