Si le processus de guérison ne s'appréhende pas de la même façon du côté du malade et du côté du soignant, il suggère néanmoins que la maladie a fait irruption, dans la vie de l'un et le travail de l'autre. Ainsi, l'objet du travail médical peut se définir autour de l'activité de guérir, à condition de ne pas considérer la guérison comme un résultat, mais comme une tentative de donner du sens à des actes[1]. Ces derniers sont plus des actes de lutte (voire de guerre) que des actions réparatrices : la maladie se vainc et l'opération de guérison projette l'ensemble des acteurs - soignants et patients - dans un espace invisible où la parole est pauvre, où la violence est tue et où l'idéal bienfaisant masque la réalité des corps meurtris.
Pourrait-on imaginer une médecine qui se débarrasserait, une fois pour toutes, du poids d'avoir à guérir ? Telles seraient les évolutions annoncées de la biomédecine, en particulier prédictive et préventive, susceptibles de provoquer un changement radical du paradigme soignant, puisqu'il s'agira désormais d'œuvrer à empêcher la maladie d'advenir. Cette quasi « révolution » est portée par la médecine dite 4P : Prédictive, Préventive, Personnalisée et Participative[2]. Celle-ci pourtant nous interroge : cette approche est-elle si différente de la précédente ? Ne s'agit-il pas que de guérir un risque ? Si l'on prend en considération le « prix à payer de la guérison[3] », sommes-nous sûrs que le prix à payer de son évitement serait moins élevé ? Par exemple, la médecine dite « personnalisée » est-elle susceptible d'éradiquer (comme elle l'annonce) certaines maladies ou certaines catégories de malades ? Sous quelles normes comportementales les individus pourraient-ils être contraints « d'acheter » leur santé ?
Pour exposer ces questions, nous mobiliserons les résultats de nos travaux antérieurs sur la profession médicale, étayés de nouveaux terrains en cours (médecine personnalisée, obstétrique, maladies génétiques).
[1] A.-C. Hardy, Travailler à guérir. Sociologie de l'objet du travail médical, Presses de l'EHESP, Rennes, 2013.
[2] Souvent résumée par « médecine personnalisée ». Pour plus de précisions concernant cette approche de la médecine, cf. Claeys A. et Vialatte J.-S., Vers une médecine de précision ? Les enjeux scientifiques, technologiques, sociaux et éthiques de la médecine personalisée, Rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologique sur les progrès de la génétique, Sénat, 22 janvier 2014. http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-off/i1724.pdf.
[3] G. Canguilhem, Écrits sur la médecine, Le Seuil, Paris, p. 91
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